La complaisance de l’ignorance

Article 5 : Développer et entretenir une Culture de l’Apprentissage Continu

Cet article est le dernier de cette série sur le leadership Agile. Il se concentre particulièrement sur l’ignorance et le besoin de mettre en place les conditions d’une équipe dite apprenante au sens des reflexions menées par Chris Argyris, Jean Piaget et Peter Sente.

La condition principale pour pouvoir apprendre :

Vous me direz, à juste titre, qu’il y a bien d’autres condition pour pouvoir apprendre quoi que ce soit et vous aurez raison ! Pourtant cette condition est bien souvent négligée, surtout dans les espaces professionnels et cette négligence conduit fondamentalement à l’échec probable de toute progression en situation d’incertitude.
De quelle condition s’agit-il ? Il s’agit d‘accepter de ne pas savoir. Accepter d’être ignorant. Accepter au sens de « Considérer quelque chose comme juste, fondé, exact, l’admettre, l’approuver. »  (Larousse) et aussi au sens de « Consentir à subir quelque chose, à le tolérer de la part de quelqu’un, l’admettre, le supporter. « (Larousse) qui sont deux définitions du verbe ‘Accepter’.

Pourquoi cette condition est-elle parfois difficile à remplir dans une équipe, une entreprise ? Parce que, à la base, nous ne sommes pas payés pour ne pas savoir ! Nous avons été recrutés sur la base de compétences précises, de connaissances sous-jacentes à ces compétences et ceux qui n’avaient pas ces connaissances n’ont pas été pris. De même, une personne qui n’exprime pas suffisamment de compétences peut se voir recadrée, voire exclue ! Il n’est pas bon d’être ignorant… S’agit-il d’une vérité, d’un fait établi ? Heureusement non, il s’agit d’une croyance largement répandue et si souvent observée qui conduit finalement à une forme de complaisance de l’ignorance.

D’où vient-elle, cette croyance ?
Au départ, il convient de décrire les 4 formes d’ignorance, par le fait que je ne sais pas une chose :

  1. alors que la connaissance existe et est accessible : je pourrai donc combler ce manque en y passant du temps et de l’attention,
  2. alors que la connaissance existe mais n’est pas forcément  accessible : pour combler ce manque, il y aura des étapes préliminaires comme trouver l’expert porteur de cette connaissance,
  3. alors que la connaissance n’existe pas sur terre : c’est un fait, je n’aurai pas accès à cette connaissance, tout le monde est ignorant, je peux devenir chercheur de génie, sait-on jamais,
  4. alors que la connaissace existe, est accessible, et je la refuse ou encore le groupe ou l’entreprise où je travaille la refuse : c’est le domaine du dogme ou pire de la complaisance auto-centrée.

Ceci étant dit, lorsque je suis ignorant de quelque chose, au mieux il s’agit d’un truc que personne sur terre ne connait (et mes collègues pourraient s’interroger sur pourquoi ça me préoccupe). Sinon, selon la croyance, je prendrais les risques suivants (entre autres, en fait la liste est infinie :-)) :

  1. Je vais représenter un coût pour l’entreprise avec une demande de formation, pas forcément accordée révèlant ainsi un défaut dans mon profil,
  2. Je vais représenter un coût pour l’entreprise pour trouver et payer un expert pour faire mon boulot,
  3. Je vais représenter un danger pour le groupe en tentant de sortir du dogme fondateur ou de la complaisance en vigueur, au risque de me faire recadrer voire exclure.

Rien de bien tentant a priori… Pourtant cette croyance est fausse, notamment en situation d’incertitude, car lorsqu’on explore des territoires inconnus, la seule façon efficace de progresser est de se baser sur son ignorance pour identifier quoi apprendre et pourquoi !

Cette croyance serait vraie si il existait des territoires de connaissance immuables dans lesquels l’équipe opèrerait : une simple observation de l’évolution du contexte du monde, de sa vitesse et de ses surprises montre que ces prétendus territoires n’existent pas !

Cette croyance avant d’être fausse, est limitante : elle limite la possibilité d’apprendre en ôtant la motivation de chacun à apprendre.

Une fois cette croyance levée, il reste à l’équipe d’identifier ce qu’elle a besoin d’apprendre, et dans quel but.

Apprendre mais apprendre quoi et pour faire quoi ?

Une première approche consiste à dire qu’il n’y a rien à identifier du tout : l’équipe apprend en continu de ses succès et de ses erreurs. Pourquoi pas, à condition que cela ne soit pas un voeu pieux. Combien de documents de retours d’expérience, les docs ‘post mortem’, rédigés à la fin des projets ‘pour en tirer les leçons’, moisissent dans les salles d’archives ? Combien de processus de collecte des expériences et connaissances ont été rédigés et mis en place, conduisant à une surcharge de travail pour in fine satisfaire le processus et non ses utilisateurs ?

Cette première approche, pour limiter l’effet ‘liste de souhaits’, est à compléter avec les points suivants :

  1. Le leader Agile, avec son équipe et pour un projet donné, définit ce qu’on appelle l’Intention Stratégique. L’Intention Stratégique est une intention, une volonté de construire un avenir désiré, dont nous ne savons pas s’il se réalisera ou non « un jour ». Il peut s’agir d’un projet, d’une percée , d’un changement perturbateur , d’une mutation, et cette phrase fournira un cadre pour le travail à venir d’exploration de nouveaux territoires,
  2. L’équipe et son leader Agile, travaillent dans le cadre de cette Intention Stratégique, qui donne à la fois la direction à suivre et le cadre systématique de reflexion/décision,
  3. L’Intention Stratégique permet à l’équipe, lors de sa progression, d’identifier les domaines d’ignorance qu’il sera utile de combler,
  4. L’Intention Stratégique et les domaines d’ignorance permettent à l’équipe de caractériser l’utilité des connaissances à aquérir, et ce que l’équipe va en faire,
  5. L’utilité caractérisée pour chaque besoin de connaissance permet de prioriser les quêtes de connaissance (formation, expertise, expérimentation, etc.),
  6. L’utilité s’exprime lorsque l’équipe acquiert effectivement ces nouvelles connaissances et les met en pratique au bénéfice de l’équipe, du projet, de l’entreprise.

En gros, il s’agit d’apprendre des trucs utiles à la réalisation d’une intention donnée pour pouvoir les mettre en oeuvre effectivement et bénéficier, à titre personnel comme collectif, de cet apprentissage en retour. Je trouve que cela a plus de sens que « l’équipe doit apprendre en continu de ses succès et de ses erreurs ». Vous me direz que c’est bien ce qui se passe dans la version que je propose, ce à quoi je me permettrai de rétorquer que certes, ça va sans le dire, mais ça va tellement mieux en le disant.

Les bases d’une équipe Agile apprenante :

Ce n’est pas pour rien que cet article vient en dernier ! L’équipe apprenante est le cinquième pilier fondamental d’un leadership Agile, qui a besoin des quatres autres pour émerger . Pour rappel, les quatre autres piliers sont (n’hésitez pas à les relire) :

1. Les Fondements du Leadership Agile : Comprendre les Principes de Base de la coopération à l’adaptabilité :

2. La Communication Agile : Le Pouvoir de l’Authenticité , la Parole et l’Ecoute Authentique  :

3. Naviguer en Incertitude : Stratégies du Leadership Agile face aux Changements :

4. L’Autonomie et la Responsabilité : Équilibrer la Liberté et le Rendu de Comptes :

L’équipe Agile apprenante se constitue et se développe par l’activation des 5 piliers, s’il en manque un seul, ce sera difficile, décourageant.

Mettre en pratique l’équipe Agile Apprenante demande donc d’avoir a priori amorcé sa transformation sur les 4 premiers piliers et surtout demande à avoir identfié le nouveau cadre de référence dans lequel l’équipe va se trouver en sortant de son cadre habituel. Ce nouveau cadre peut tout à fait être défini par une intention stratégique telle que décrite plus haut. Je vous invite à lire/relire l’article préliminaire de cette série et notamment le préambule de l’IPM

Conclusion

En conclusion, le leadership agile s’épanouit dans une culture de l’apprentissage continu. Les leaders agiles comprennent que c’est par la recherche constante de connaissances et l’adaptabilité que leurs équipes peuvent exceller dans un environnement en perpétuel mouvement.

Certains pourraient se dire : « Cela fait beaucoup d’information à engranger, si seulement je pouvais observer une équipe en cours de transformation en accédant au moindre détail, pour voir comment ça fait, et si en plus je pouvais le faire de façon agréable… ». Eh bien cette solution existe, il vous suffit de lire « Les Contes de la Connerie Collective », disponibles sur Amazon en suivant le lien : Lire les Contes de la Connerie Collective


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